samedi 25 mai 2019

Introduction du rite des "Anciens" en France : 1804-1821

A la Tenue du 3 mars 2015 de la Loge Louis de Clermont lettre ג de la LNF, Roger Dachez a présenté un travail sur "l'introduction du rite des Anciens en France : 1804-1821" dont voici quelques extraits :
"L’histoire maçonnique britannique de la 2e moitié du XVIIIe siècle est marquée par un conflit entre deux puissances obédientielles, conflit aux conséquences diverses et inattendues. En Angleterre, il s’achève heureusement au début du XIXe siècle par l’union de ces deux organisations rivales, mais en France il va connaître un avatar imprévu dont les implications se font toujours sentir aujourd’hui. 
Pour comprendre ce qui va suivre, il importe de se souvenir :
  • que ce conflit concerne ce que nous appelons les grades bleus (Apprenti ; Compagnon ; Maître)
  • que la césure entre grades bleus et hauts grades n’existe pas au XVIIIe siècle. Elle n’apparaîtra qu’après la décision de la Grande Loge Unie d’Angleterre de 1813.
1. La Franc-maçonnerie dans les îles britanniques au XVIIIe siècle 
Le plus ancien système maçonnique connu sous la forme actuelle d’obédience spéculative organisée apparaît en terre britannique dans les années 1720. Ces usages sont dévoilés publiquement en 1730 à Londres dans la fameuse divulgation de Prichard Masonry Dissected
Deux décennies plus tard, au tournant du siècle, apparaît, en Angleterre, une deuxième puissance maçonnique dénommée Grande Loge des "Anciens Francs-Maçons selon les Anciennes Institutions". Ses usages sont dévoilés publiquement en 1760 par la divulgation The Three Distincts Knocks
C’est dans cette décennie (1760) qui se cristallise l’opposition entre ces deux Grandes Loges : opposition de pouvoirs et opposition rituelle. 
Ces nouveaux maçons exprimaient divers reproches aux premiers, que l’on pourrait résumer dans le titre même de la Grande Loge., titre qu’ils brandirent comme un étendard. Ils se prétendaient, contre toute évidence, plus « anciens » que les premiers, si bien que ceux-ci reçurent, a contrario, le qualificatif péjoratif de « modernes ». On s’en doute, le nom même d’ « ancien » n’est pas neutre et devint même franchement polémique. « Ancien » veut signifier « vraie tradition maçonnique » et « moderne » tradition maçonnique altérée. Quoiqu’il en soit, après 60 ans de rivalité les 2 Grandes Loges vont s'unir en 1813 pour former la Grande Loge Unie d’Angleterre, preuve s’il en était besoin que l’opposition de traditions « Moderne » et « Ancienne » n’était pas si irréductible que cela. Le nouveau rituel qui en résultera deviendra, sous le label « Emulation » un standard de la tradition maçonnique mondiale. 
L’histoire de ce conflit pourrait s’arrêter là mais elle va prendre un nouveau tour en terre française. On va voir comment. 
2. La Franc-maçonnerie en France au XVIII siècle et son prolongement en Amérique 
Ce sont des maçons anglais, écossais, irlandais qui introduisent la Franc-Maçonnerie en France, vers 1725, en fondant une loge, rue des Boucheries à Paris, rue détruite depuis par le percement du boulevard Saint-Germain. A cette époque, ces maçons pratiquent les usages maçonniques de la seule Grande Loge alors connue, la Grande Loge d’Angleterre dite plus tard "Moderne". C'est donc cette tradition "Moderne" qui est unanimement pratiquée en France au XVIIIe siècle. La tradition « ancienne » y est totalement inconnue. 
En 1761 se produisit un épisode qui passa probablement totalement inaperçu à l’époque mais qui deviendra, a posteriori, l’acte de naissance d’un nouveau système maçonnique : Etienne Morin, muni d’une patente de la Grande Loge de France de l’époque, s’en va aux Amériques répandre les grades alors pratiqués dans notre pays, entendons les hauts grades. 
Ces hauts grades continueront à être pratiqués et à évoluer en France et, sous l’égide du Grand Orient de France et de son Grand Chapitre Général, est composé dans les années 1780 « le rite Français ». Ce rite est composé des 3 grades dits bleus de la tradition des « Modernes » et de 4 « ordres » qui sont une sélection réorganisée de ce que l’on estimait de meilleur dans les hauts grades. 
Pendant ce temps-là, Outre-Atlantique, se confectionna, à partir d’un corpus symbolique semblable, un système rituel différent : à la base les 3 grades bleus, non plus de la tradition des « Modernes » mais de la tradition des « Anciens ». En effet, ces derniers s’étaient bien implantés en Amérique aux temps de l’indépendance et s’étaient rapidement imposés sur le plan maçonnique face à la tradition des « Modernes » qui était assimilée au pays colonisateur : l’Angleterre. Au-delà de ces 3 grades bleus, on trouvait un conglomérat de grades formés de ceux transmis ou confectionnés par Morin (décédé en 1771) et d’autres inventés pour la circonstance de façon à former un système en 33 grades qui donnera naissance au 1er Suprême Conseil du Monde (de la juridiction sud des Etats-Unis) en 1801. 
3. Le XIXe siècle en France 
Au début du XIXe siècle la France et, par voie de conséquence, la Maçonnerie française entrent dans une nouvelle époque. Le 1er Consul, Bonaparte, signe la paix d’Amiens avec l’Angleterre en 1802. Nombres de militaires regagnent notre pays, notamment ceux venus des îles et d’Amérique, parmi lesquels un certain de Grasse-Tilly. Comme nombre de ses confrères, c’était un Franc-maçon. Patenté par le Suprême Conseil du Sud des Etats-Unis il fonde, en 1804, un Suprême Conseil « du 33e degré » à Paris. Or au début de l’Empire, et c’est la volonté de l’Empereur, il n’existe vraiment qu’une seule puissance maçonnique en France, le GODF qui a d’ailleurs à sa tête un membre de la famille impériale, assisté de Jean-Jacques Régis de Cambacérès. Le nouveau Suprême Conseil négocie donc un accord avec le GODF au terme duquel ce dernier régit les 3 grades bleus (de la tradition des « Modernes ») et les hauts grades jusqu’à celui de Rose-Croix (18e) tandis que l’autre partie gérera les grades supérieurs jusqu’au 33e. Malheureusement ce concordat ne résiste pas à la chute de l’Empire. Le Suprême Conseil se scinde alors en deux : l’un demeure fidèle au GODF tandis que l’autre, « le Suprême Conseil de France » prend son indépendance en 1821. 
Ce Suprême Conseil de France se retrouve alors dans une situation inédite, celle d’avoir à gérer l’ensemble des 33 grades ou degrés, à commencer par les grades bleus. Comme il voulait se différencier du GODF et que les premiers fondateurs du Suprême Conseil avaient reçu la tradition « ancienne » pratiquée en Amérique, le Suprême Conseil de France décida de s’en inspirer principalement pour confectionner de nouveaux grades bleus. Au vrai ils sont « rouges » (couleur de la Légion d’honneur) et sont principalement composés de 3 sources :
  • la tradition « ancienne » comme on vient de le voir
  • un rite « écossais » connu en France dans les années 1760 (à Marseille-Avignon-Paris) qui est en réalité un rite « moderne »
  • la tradition française pratiquée à l’époque, c’est à-dire là encore « moderne ». Au total ces nouveaux grades « bleus, écossais » (dénomination destinée à les distinguer des grades « français ») sont un mixte de ces traditions « moderne » et « ancienne ». On peut le découvrir, publié en 1821 dans Le Guide des Maçons Ecossais (cf. réédition par Pierre Noël, Paris 2006). 
4. Le rite des « Anciens » en France 
Avec ces grades « bleus écossais » on aurait pu penser qu’ait été trouvé entre ces deux traditions un compromis harmonieux, à l’image du rite anglais issu de l’Union de 1813. Mais en réalité, du fait de l’évolution rapide de la Maçonnerie française au XIXe siècle, évolution à laquelle le Suprême Conseil de France ne va pas échapper, ce nouveau rite ne va guère être pratiqué tel quel et va, dès les années 1830, se « franciser », se moderniser – c’est particulièrement visible dans la nouvelle rédaction des instructions- jusqu’à prendre une couleur politique, laïciste et sociétale bien connue (cf. le cas de la Grande Loge symbolique écossaise). Au XXe siècle la situation change. Malgré son évolution « progressiste » le Rite « écossais ancien » va vouloir peu à peu se présenter comme un contre-modèle à un rite français ou « moderne ». On réutilise alors, mais dans un tout autre contexte, la querelle anglaise des « Modernes » et des « Anciens » pour étayer l’idée selon laquelle le Rite Ecossais Ancien et Accepté, dans ses grades « bleus » serait l’héritier d’une tradition « ancienne » plus authentique que la tradition des « Modernes » qualifiée aujourd’hui d’« Andersonienne » et représentée par le GODF. 
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